Laurent Nuñez : La cellule adoptait des codes de communication confidentiels et se réunissait en zone rurale pour s’entraîner dans des secteurs reculés. Ils auraient fabriqué et testé de l’explosif, en l’occurrence du TATP, ce que l’enquête devra naturellement confirmer. En tout état de cause, des produits utilisés pour la confection de TATP et des armes à feu (de chasse et sportives), dont certaines détenues illégalement, ont été saisis. Au total, cette cellule réunissait des individus connus à l’ultragauche et d’autres inconnus mais y adhérant idéologiquement. L’enquête permettra de déterminer les cibles de la cellule qui, pour l’ultragauche, sont en général institutionnelles (policiers, gendarmes, militaires, bâtiments d’État…) ou capitalistiques.
D’autres militants de l’ultragauche se sont-ils rendus au Rojava?
Laurent Nuñez : Oui, on compte au total une dizaine de militants de l’ultragauche qui sont allés combattre là-bas, et, pour certains, en sont revenus aguerris.
Cette montée de la menace intervient après des dizaines d’actions de sabotage…
Laurent Nuñez : Cette «montée en gamme» intervient en effet après une succession d’actions violentes «de basse intensité», qui explique pourquoi le suivi de cette mouvance a toujours été une priorité. Depuis mars 2020, on a recensé 170 actions de sabotage contre des pylônes de téléphonie (environ 60% des cibles), des biens appartenant à des grandes entreprises (transport, énergie, communication), des collectivités locales, une sous-préfecture, trois gendarmeries, des véhicules de l’administration pénitentiaire ou de police. Je rappelle que, en janvier 2019, un incendie avait visé les locaux de France Bleu Isère. Ces 170 actions, dont une partie a été revendiquée par la mouvance, sont directement liées à un «appel à l’action directe», lancé en mars 2020 et visant à dégrader des biens représentant le «grand capital» ou l’État. Il y avait déjà eu un appel similaire en 2017 en réaction à un coup de filet contre des anarchistes en Italie. Il avait été suivi d’effets, à l’époque, avec notamment des tentatives d’incendie dirigées contre des gendarmeries, et, dans un cas, un risque de propagation aux locaux d’habitation des gendarmes. Mais la réponse à l’appel de 2020 a été bien plus forte qu’en 2017.
Ces sabotages donnent lieu à des enquêtes et à des interpellations. Quel est le profil des suspects?
Laurent Nuñez : Certains ont répondu à l’appel à l’«action directe» et l’assument parfois pendant leur audition par les enquêteurs, mais sans faire partie de la mouvance. D’autres sont des militants connus. D’où l’importance d’un échange très étroit sur ces dossiers entre services de police et de gendarmerie, services de renseignement et services judiciaires, comme cela a été mis en place par Christophe Castaner et poursuivi par Gérald Darmanin.
L’ultragauche a-t-elle bénéficié des mouvements sociaux de ces dernières années, notamment de celui des «gilets jaunes»?
Laurent Nuñez : Depuis la loi El Khomri, votée en 2016, la mouvance, composée d’anarcho-autonomes et d’«antifascistes», tente de noyauter les mouvements de voie publique. Ils infiltrent les manifestations pour les faire dégénérer en s’en prenant aux forces de l’ordre et à des biens matériels, dont des établissements bancaires ou des commissariats. Ce fut le cas le 1er mai 2018 ou dans des manifestations contre la réforme de la SNCF. On l’a vu aussi à l’occasion du mouvement des «gilets jaunes». Même si, au départ, l’ultragauche s’est méfiée de ce mouvement, avant d’attirer à elle des «ultrajaunes» épousant ses méthodes. Cette volonté d’occuper la rue s’étend à la contestation des sommets internationaux (G7, G20) partout en Europe, avec l’interpellation de Français en juillet 2017 à Berlin. Enfin, ils visent aussi l’occupation de grands projets, du type ZAD, où on les retrouve créant un surnombre pour des actions violentes ou tout simplement vivant sur place. Au-delà des «gilets jaunes», l’ultragauche tente aussi de lancer des passerelles, de créer une convergence avec des mouvements panafricanistes, dénonçant les violences policières, environnementalistes ou contre l’islamophobie d’État. Il s’agit de créer une transversalité des luttes aux fins de déstabiliser, voire de renverser, les institutions républicaines.
D’autres menaces existent. L’homme qui a tué trois gendarmes dans le Puy-de-Dôme a été ainsi présenté comme «survivaliste». Ce mouvement constitue-t-il un danger?
Laurent Nuñez : Tout à fait, car le survivalisme, que l’on retrouve plutôt à l’ultradroite, et notamment dans sa branche suprémaciste, monte en puissance. En théorie, ses adeptes veulent être en capacité de vivre en autosuffisance et de s’organiser pour «entrer en résistance» le jour d’un chaos total, souvent corrélé à la montée en puissance de l’immigration et de l’islamisme. Le tueur du Puy-de-Dôme, qui avait stocké de la nourriture pour plusieurs mois, était lourdement armé et s’était protégé par des caméras de vidéosurveillance. Je précise que l’appartenance de cet individu à la mouvance d’ultradroite n’est pas établie.
Comme l’ultragauche, l’ultradroite menace, avec la crainte d’un Christchurch à la française…
Laurent Nuñez : À l’instar de l’attentat de 2019 contre deux mosquées à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, nous sommes également attentifs à prévenir des actions violentes commises par des individus isolés qui baignent dans cette mouvance. Cinq attentats fomentés par la mouvance d’ultradroite ont été déjoués – quatre par la DGSI et un par la gendarmerie nationale – depuis 2017. Une action violente pourrait chercher à atteindre des intérêts musulmans, mais également d’autres cibles, tels que des objectifs politiques ou institutionnels. Je rappelle que le président de la République a été directement ciblé par l’un de ces groupes.
Avec six attentats en 2020, le terrorisme islamiste demeure le risque principal…
Laurent Nuñez : Sur le front de la menace islamiste, deux attaques ont été déjouées depuis début 2020, 33 depuis 2017. La détection devient très difficile si l’on prend en compte le fait que sur les huit derniers attentats, les assaillants étaient inconnus des services et, par ailleurs, n’avaient pas ou très peu de contacts avec des djihadistes situés hors de France. Dans les trois derniers passages à l’acte, la seule idée de blasphème a servi de déclencheur. Par ailleurs, même si Daech est très affaibli, une menace projetée depuis des foyers djihadistes, comme les Balkans ou le Maghreb, où se sont dispersés des «revenants», est possible. Par ailleurs, même affaibli, n’oublions pas que Daech se reconstitue dans la clandestinité sur zone. La situation dans le désert de la Badiya est notamment suivie. Pour identifier ces menaces exogènes, un remarquable travail de renseignement est fourni par la DGSE et la DGSI et leurs partenaires étrangers, grâce à une coopération toujours plus étroite. Enfin, sur le territoire national, les 64 détenus condamnés pour terrorisme, appelés à sortir de prison en 2021, vont retenir toute notre attention.